La résistance végétale de Guérilla Gardening

Devenir acteurs de la ville en la végétalisant, c’est la proposition de Guérilla Gardening. Ces révolutionnaires de l’urbain ont bien des moyens pour se réapproprier l’espace public et contribuer à rendre nos villes plus vertes !

Militer en végétalisant, végétaliser en militant

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Les bombes de graines sont faciles à disperser partout dans la ville

Le mouvement Guérilla Gardening naît dans les Etats-Unis en crise des années 1970 alors que de nombreux immeubles new-yorkais abandonnés par leurs propriétaires sont détruits par la municipalité, laissant de vastes parcelles à l’abandon. Liz Christy, une habitante de Manhattan, propose à ses amis de végétaliser ces espaces délaissés et inoccupés de la ville. Elle a l’idée de confectionner des bombes de graines (seed bombs) à jeter par-dessus les palissades des friches. Les graines prennent, les plantes poussent et se ressèment, transformant l’espace public et le cadre de vie des habitants du quartier. Face au succès de l’initiative, les guérilleros s’installent sur une parcelle de 90 m² pour y jardiner et cultiver leurs propres légumes. Ce sera la naissance du premier jardin communautaire.

Depuis les années 2000, la “green guérilla” connaît une seconde vie en Europe, sous l’impulsion d’une autre icône : le Londonien Richard Reynolds. Souffrant du manque d’espaces verts dans son quartier, il s’est mis en tête de les créer seul avec sa pelle. Le voilà qui plante des tournesols sur des îlots de ronds-points et des choux au pied de son immeuble. Grâce à son blog créé en 2004, il réunit autour de lui une communauté internationale de citadins qui ont envie de renouer avec la terre et d’embellir leurs villes. En France, les actions se sont multipliées à Paris, Rennes, Grenoble, Lyon et Bordeaux : la Guérilla Gardening constitue un vrai levier d’action pour les citadins en quête de végétalisation.

Aux armes, citadins !

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Tag en mousse réalisé par un guérillero jardinier

La filiation révolutionnaire affichée de ce mouvement peut faire sourire : après tout, il ne s’agit que de planter des fleurs et des légumes au pied de son immeuble. Mais le terme de “guérilla” représente d’abord la remise en question d’un ordre établi et la multiplication d’actions spontanées et sporadiques pour s’y opposer. Et c’est bien ce que propose ce mouvement : refusant toute forme d’organisation officielle, de subventions ou de partenaires privés ou publics, Guérilla Gardening est un collectif mouvant, intrinsèquement indépendant, qui valorise les actions individuelles ou en petits groupes. Il invite chaque citadin à se questionner sur la structure de la ville et sa construction, afin de se réapproprier l’espace public et d’y apporter sa signature. Vous voulez prendre les armes ? Guérilla Gardening a tout un arsenal à vous proposer : tags en mousse, bombes de graines, végétalisation du mobilier urbain… Des astuces et des tutoriels sont même disponibles sur leur site.

La démarche est donc illégale : les guérilleros n’attendent pas l’autorisation du propriétaire des lieux pour jardiner dans un espace urbain délaissé, qu’il soit public ou privé. Guérilla Gardening revendique cette liberté de pouvoir verdir n’importe quelle parcelle, et d’y implanter aussi des usages. Car jardiner, ça rassemble : comme en témoigne l’évolution du Jardin Afghan aménagé par les militants parisiens, ce triangle de terre autrefois sans vie est aujourd’hui un espace de rencontre et de sociabilité pour les habitants du quartier Jaurès. Guérilla Gardening contribue par ses projets à sensibiliser les citadins aux enjeux environnementaux de la végétalisation de la ville par l’organisation d’évènements et de rencontres ouverts à tous.

Enfin, la guérilla jardinière se rebelle contre les géants de l’agro-alimentaire. En promouvant les semences légumières locales et adaptées au contexte urbain, le mouvement encourage l’autonomie alimentaire. Comme le propose le célèbre “gangster jardinier” Ron Finley, il est possible de reprendre le contrôle de son alimentation en plantant soi-même ses fruits et légumes dans les espaces vacants de la ville. Cet habitant du quartier populaire de South Central à Los Angeles a initié un mouvement inédit d’agriculture urbaine clandestine, encourageant les jeunes à se soucier de leur alimentation et de sa provenance. Une résistance contre la malbouffe qui a enthousiasmé des porteurs d’initiatives partout dans le monde.

Que penser de la réappropriation de cette démarche par les collectivités ?

En 2015, la mairie de Paris a lancé le Permis de végétaliser : désormais, tout Parisien peut adresser une demande en ligne pour jardiner sur l’espace d’un pied d’arbre ou d’un petit bout de trottoir appartenant à la collectivité. La municipalité s’engage à répondre en moins d’un mois, fournissant même un kit de plantation aux citadins demandeurs. D’autres initiatives de ce genre ont germé dans les grandes villes françaises récemment, comme le Visa vert de Marseille ou la Convention de végétalisation de Strasbourg. Directement inspirées des mouvements citoyens tels que Guérilla Gardening, ces collectivités ont voulu favoriser la démarche de végétalisation de la ville en légalisant les processus d’appropriation de l’espace public.

Le permis de végétaliser offre aux citadins la possibilité de s’approprier l’espace public pour jardiner (ici quai de Valmy, dans le 10e arrondissement)

Mais s’agit-il vraiment de la même démarche ? Le fait même de réglementer les actions citoyennes de végétalisation remet le pouvoir d’aménager la ville entre les mains de la collectivité, et va ainsi à l’encontre des revendications de Guérilla Gardening. La mairie donne la possibilité aux habitants d’intervenir dans la ville, mais toujours sous son autorité.

Alors doit-on s’opposer aux initiatives municipales telles que le Permis de végétaliser ? Chacun se fera son avis, mais je crois que les avancées des grandes villes sur ce sujet sont surtout à encourager. D’une part, le fait d’autoriser l’intervention des habitants dans l’espace public prouve l’évolution des mentalités, y compris des aménageurs professionnels de la ville. De plus en plus ouvertes aux innovations sociales et environnementales initiées par les citadins, les collectivités montrent qu’elles sont prêtes à y accorder une réelle importance et à s’en inspirer. D’autre part, cette volonté des municipalités permet la naissance d’un mouvement de plus grande ampleur : si certains habitants peuvent être freinés par l’aspect illégal des actions de Guérilla Gardening, les propositions telles que le Permis de végétaliser représentent des leviers d’actions plus accessibles, qui permettent d’impliquer tous les publics. Et c’est uniquement par ce biais que l’on pourra sensibiliser largement les citoyens aux enjeux environnementaux que rencontrent les villes.

Enfin, je pense que les actions des collectivités et celles de Guérilla Gardening ne sont pas incompatibles, et même complémentaires : c’est bien au citadin de faire son choix et de déterminer par quel biais il deviendra acteur de la ville durable. L’essentiel est de lui en donner les moyens !

Crédits : Guérilla Gardening, Sain et Naturel

Une réflexion au sujet de « La résistance végétale de Guérilla Gardening »

  1. Encore un article passionnant.
    J’avais récemment identifié une zone mise à disposition des citoyens par la mairie de Paris en bas de chez moi.
    La mesure est louable mais l’initiative citoyenne est seule garante de sa pérennité à mon sens.
    Encore bravo pour toutes ces infos

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