Elodie Lemière : du wwoofing dans les villes d’Amérique du Nord

J’ai eu le plaisir de rencontrer Elodie Lemière lors de la 10e édition de l’Ecole d’été sur l’agriculture urbaine de Montréal. Elle était en train de terminer un voyage d’apprentissage qu’elle s’était elle-même imaginé et organisé : son idée était de passer du temps dans plusieurs fermes urbaines et péri-urbaines en Amérique du Nord pour expérimenter l’agriculture urbaine et commencer à apprendre le métier de maraîchère. Une parenthèse dans la vie de cette chargée de mission d’aménagement au sein d’une collectivité territoriale d’Île-de-France.

Le wwoofing n’est pas récent (il est né dans les années 1970 en Grande-Bretagne) mais il connaît un succès croissant auprès des nouvelles générations de voyageurs car il permet de s’investir de façon éco-responsable, en rendant service localement et durablement aux agriculteurs. Cette démarche se pose loin de l’instantanéité du tourisme de masse et de l’absence de réel contact avec les communautés locales. Dans le cas d’Elodie, il permet aussi de découvrir un nouveau secteur professionnel et, pourquoi pas, de préparer sa reconversion !

 La Ville Pousse – Qu’est ce que l’on appelle le wwoofing et pourquoi est-ce que cela t’intéressait ?

Elodie – Le wwoofing est un verbe inventé de l’acronyme World-Wide Opportunities on Organic Farms (WWOOF). Cela consiste à travailler en tant que volontaire dans des fermes en agriculture biologique en contrepartie de l’hébergement et des repas. J’ai rencontré des personnes m’ayant raconté leurs expériences de wwoofing, et j’avais envie de tester. J’ai tenté l’aventure cette année puisque cela coïncidait avec l’arrêt de mon contrat de travail. J’étais également en pleine réflexion sur mon avenir professionnel, j’ai alors décidé d’inclure le wwoofing dans le cadre d’un voyage « d’études » au Canada que je me suis construit.

LVP – Quel a été ton itinéraire ?

E – Je voulais à la fois revenir avec une expérience de wwoofing et à la fois apprendre sur l’agriculture urbaine en allant visiter Toronto, Montréal, Détroit et New-York. Sauf que j’ai dû revoir mon programme au cours du voyage et notamment renoncer à aller à Détroit par manque de contacts locaux.

J’ai commencé par Toronto, puis je voulais remonter vers le nord-est en direction de Montréal et ensuite finir mon voyage à New-York. J’ai dû également prendre en compte la durée du visa et la météo canadienne, c’est pour cela que je suis partie de juin à fin août.

A Toronto, j’ai été volontaire d’un jour dans deux fermes urbaines : « Black Creek Community Farm » et « Fresh City Farm ». J’ai complété cette expérience en rencontrant un membre du « Toronto Youth Food Policy Council » (TYFPC) à l’occasion d’un événement. Le TYFPC est une organisation qui vise à créer un modèle alimentaire juste et durable avec les associations de jeunes à Toronto. Cela n’existe pas en France et c’est bien dommage.

J’ai ensuite fait 9 semaines de wwoofing entre Toronto et Montréal dans trois fermes différentes : « Headwaters Farm » (ferme pédagogique et maraîchère en Ontario), « Edible Forest Farm » (ferme en permaculture et champignonnière en Ontario) et « la ferme aux Légumes d’hivert » (maraîchage bio en banlieue de Montréal).

J’ai ensuite complété ces enseignements en participant à la formation sur l’agriculture urbaine dispensée par l’École d’été d’agriculture urbaine (du 20 août au 25 août) à Montréal. J’ai terminé ce beau voyage en visitant New-York et notamment en allant sur un des sites de « Brooklyn Grange ». Il s’agit d’une ferme maraîchère installée sur un toit terrasse. C’était assez déroutant en étant sur ce site car il est possible de récolter du chou-kale tout en admirant l’Empire State Building.

Aperçu de la ferme Brooklyn Grange, à New York © Elodie Lemière

LVP – Comment as-tu choisi les fermes dans lesquelles tu as été volontaire ?

E – J’ai contacté les fermes dès le mois d’avril, soit deux mois avant mon départ, sur deux sites internet connus : wwoofing et sur workaway (un site plus généraliste qui recense également des volontariats pour travailler dans l’hôtellerie). J’avais un cahier des charges bien précis :

  •  la localisation de la ferme, devant être sur mon parcours entre Toronto et Montréal et majoritairement en partie anglophone pour améliorer mon anglais ;
  •  les types d’activités différentes, pour avoir une vision large ;
  •  la durée du séjour dans les fermes, qui était de 3 semaines pour avoir le temps de prendre mes marques avec la famille et de partager des moments avec eux.

LVP – Est-ce que tu as vu des types de projets très différents ?

E – Je n’ai pas vu des projets différents dans les fermes, elles partageaient toutes le même état d’esprit qui est d’avoir une agriculture respectueuse pour le sol, pour la biodiversité et pour l’homme. J’ai ressenti une différence, et non une opposition, entre les fermes urbaines et les fermes péri-urbaines. Les fermes urbaines ont un rôle social plus fort que les fermes périurbaines. En effet, elles sont situées à proximité immédiate avec les habitants et elles peuvent aider à renouer avec la terre et sensibiliser à une alimentation saine. On ne peut pas les opposer avec les fermes péri-urbaines, car il y a là une vraie complémentarité. Les autres fermes situées généralement en banlieue ou en campagne ont un rôle d’approvisionnement en produits locaux que ne peuvent pas assurer l’agriculture urbaine. Les fermes péri-urbaines ont également leurs places et leurs rôles dans la pédagogie et dans la sensibilisation à l’alimentation locale et saine.

LVP – Quels types de tâches étais-tu amenée à faire ?

E – Une des tâches récurrentes, chronophage et commune aux fermes en agriculture biologique est le désherbage. C’est le gage de manger des produits sains et de bonne qualité. Mais j’ai pu effectuer d’autres tâches :

  • M’occuper des animaux (nourrir, nettoyer leurs lieux de vie etc…) ;
  • M’occuper de la maintenance de la champignonnière ;
  • Travailler sur l’exploitation maraîchère en participant du semis à la commercialisation sur le marché local, en passant par la récolte et à la préparation des paniers.
Après le transport des bottes de foin © Elodie Lemière

Le travail de maraîchage demande une bonne condition physique. Mais pour moi, la tâche qui a été la plus dure consistait à charger à la main environ 650 bottes de foin dans une grange pour nourrir les animaux de la ferme pédagogique ». Ce moment d’effort a permis de serrer des liens avec la famille d’accueil.

Tout n’est pas rose, il arrive que l’on nous demande des tâches qui n’ont rien à voir avec la ferme comme passer l’aspirateur dans le garage. Il faut alors savoir dire à l’agriculteur que l’on n’a pas traversé l’Atlantique pour faire ça.

LVP – Comment se sont passées tes relations avec les personnes qui t’ont reçues ?

E – Globalement j’ai eu de très bonnes relations avec les familles d’accueil avec qui je suis toujours en contact. J’ai eu une mésaventure dans une ferme au Québec. Je suis arrivée au moment où le couple était en train de séparer, et ils attendaient un enfant (elle était enceinte de 8 mois). J’ai été ballotée au sein du couple et un peu prise à partie dans les disputes. J’ai pu intégrer rapidement une nouvelle ferme, en l’occurrence chez une maraîchère. Nous avons énormément échangé sur le maraîchage (rotation des cultures, semis, qualité de la terre), finalement « c’était un mal pour bien ».

Il peut y avoir de temps en temps « des abus » sur le nombre d’heures travaillées. Il faut avant tout se mettre d’accord avec l’agriculteur. Ensuite, il faut accepter de ne pas compter ses heures à la minute près, et finir une tâche entamée si celle-ci est réalisable dans l’heure. En général, l’agriculteur est reconnaissant et rend « la pareille » par des attentions ou par une baisse de la charge du travail le lendemain.

LVP – Qu’est-ce que tu as appris sur l’agriculture en général, et urbaine en particulier, pendant ce voyage ?

E – J’ai appris que ces deux agricultures ne travaillent pas ensemble, ou du moins pas encore. L’agriculture urbaine peut apporter des compléments à la population locale là où l’agriculture péri-urbaine ne le fait pas, et inversement. Concernant l’agriculture urbaine, j’avais des questionnements et notamment sur la rentabilité de l’activité. J’ai pu échanger sur ce point de vue lors notamment de la semaine sur l’agriculture urbaine à Montréal, à l’occasion de rencontres avec porteurs de projets dans le domaine.

LVP – Qu’est-ce que tu tires aujourd’hui de cette expérience pour ton parcours professionnel ?

E – J’en tire des enseignements et des connaissances que je n’avais pas sur le maraîchage notamment. Je ne souhaite pas m’installer, pour le moment, en tant que maraîchère. J’ai pu avoir un aperçu de 9 semaines de culture. Il est nécessaire d’avoir un recul sur une ou même deux années pour se décider de se lancer à son compte. Je dirais que ce voyage m’a confirmé mon choix sur ma réorientation professionnelle qui est le domaine de l’agriculture, qu’elle soit urbaine ou périurbaine. Pour moi, l’agriculture est un levier indispensable pour repenser à un système alimentaire local.

LVP – Est-ce que tu recommanderais ce type d’expérience à une personne qui souhaite découvrir ou acquérir de nouvelles connaissances en agriculture urbaine ?

E – Bien sûr, je recommanderais cette expérience aux personnes qui souhaitent partager et s’enrichir par ce type d’expérience. Il ne faut pas faire du wwoofing dans l’idée de passer des vacances à moindre frais. Il faut y aller avec une ouverture d’esprit et un sens du partage. J’ai déjà en tête de nouvelles destinations de wwoofing pour poursuivre l’aventure.

> Pour reprendre la bonne idée d’Elodie et consulter les milliers d’opportunités offertes par le wwoofing, rendez-vous sur : http://wwoof.net/

3 réflexions au sujet de « Elodie Lemière : du wwoofing dans les villes d’Amérique du Nord »

Répondre à Jean Pierre Jambes Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.