« Chronique d’un jardin solidaire », le témoignage éclairant d’Olivier Pinalie

Dans le milieu parisien des amateurs d’agriculture urbaine, un jardin est souvent évoqué comme modèle : le Jardin Solidaire. Ce lieu de convivialité, installé sur une friche de 3 000 m² du 20e arrondissement et aujourd’hui disparu, résonne encore par son originalité, son anti-conventionnalité et l’inspiration de son créateur Olivier Pinalie. Lorsque ceux qui ont connu et participé à la construction de cet espace prennent la parole, on peut encore sentir l’enthousiasme qui les a animés durant les cinq ans d’existence du jardin (2000-2005).

Alors pour raconter au mieux l’histoire du Jardin Solidaire plus de dix ans après sa disparition, Olivier Pinalie a décidé de reprendre les notes de son journal et de les assembler en chronique. L’ouvrage, paru en septembre 2016 aux éditions CNT-RP, retrace mois après mois les évolutions du projet. Malgré le style parfois grandiloquent de l’auteur, on suit avec curiosité la naissance et la vie de ce jardin unique en son genre.

Un « laboratoire de brassage vivant »

Lorsqu’il décide de s’emparer de l’immense terrain vague à proximité de son atelier de plasticien, Olivier Pinalie a avant tout l’objectif de se faire plaisir, de se laisser porter par cet entrain qui promet d’embellir son quotidien et celui de ceux qui voudront bien se joindre à lui. Armé de quelques outils et d’une volonté impressionnante, il réussit à s’entourer des jeunes qui ont élu domicile sur cette friche, puis de parias du quartier pour qui un espace libre et ouvert est l’opportunité de s’offrir une nouvelle sociabilité et de participer à un projet collectif valorisant. L’auteur ne manque pas de décrire les conflits et les difficultés rencontrées avec le voisinage, mais au fil des mois le nombre d’habitués grandit et les activités se diversifient sous leur influence : au-delà du jardinage, certains habillent le lieu de sculptures réalisées à partir de matériaux de récupération, d’autres décident de donner des cours de soutien scolaire aux enfants qui ne manquent pas une occasion de venir jouer sur le terrain… Bientôt, des projections de films ameutent des centaines de personnes dans l’un des quartiers de Paris les plus pauvres en espaces verts et en animations culturelles.

A l’heure où on se demande si les jardins partagés sont porteurs de mixité sociale, la chronique d’Olivier Pinalie apporte un éclairage rafraîchissant : dans un quartier où des populations très diverses se croisent sans jamais se rencontrer, chacun a trouvé au sein du Jardin Solidaire une bonne raison de s’investir et de se lier avec les autres occupants du lieu. Et pour cause, « il ne suffit pas seulement que [le jardin] soit ouvert à tout le monde, il faut encore intéresser les visiteurs avec un projet original ». Le jardin partagé est dans ce cas-là un formidable lieu d’expression et doit nécessairement proposer d’autres portes d’entrées que celle du jardinage. 

Est-il possible pour le « seul jardin sans gardien » de rester indépendant ?

L’existence de ce jardin est en soi un acte de résistance : contre la gentrification des quartiers populaires, les réaménagements urbains, l’abandon de l’espace public par les habitants… Quand on comprend ces motifs, la volonté de la Ville de Paris de reprendre la main sur cette friche et les activités qui y fleurissent paraît bien vaine. Et c’est un bras de fer entre la mairie et les occupants illégaux qui s’amorce et qui dure plusieurs années, sans issue apparente. D’un côté la méfiance de cette effervescence populaire incontrôlée qu’il faudra un jour ou l’autre déloger pour permettre le projet de construction d’un gymnase de suivre son calendrier ; de l’autre, la crainte de se voir expulser et d’assister à l’anéantissement de plusieurs années de travail acharné.

En ce début des années 2000, nous sommes aux prémices du développement des jardins partagés parisiens et les autorités locales ne savent pas encore quelle stratégie adopter. Une convention finit par être signée par les deux parties et pose les conditions de survie du jardin : un an plus tard, les lieux devront être libérés et les participants se consacrer à une autre parcelle. Malgré la volonté d’Olivier Pinalie et de ses acolytes de faire avorter le projet d’aménagement, rien n’y fait. Il leur est proposé deux alternatives : profiter du jardin en terrasse installé sur le toit du futur gymnase pour poursuivre leurs activités, ou bien s’implanter dans un espace réservé du Jardin Casque d’Or, un espace vert à proximité. Des espaces trop petits et trop aseptisés pour la communauté, qui refuse les deux offres.

Si ce dénouement est malheureusement prévisible, il met à jour un enjeu essentiel pour les collectivités. La volonté de développer les jardins partagés nécessite de mettre à disposition des terrains municipaux aux habitants volontaires, entente qu’il convient de protéger par des documents juridiques qui établissent clairement les responsabilités de chacun. Pourtant, cette culture de la procédure risque d’étouffer les initiatives spontanées menées par des citoyens qui n’ont pas attendu les encouragements de la Ville pour se lancer dans des projets bénéfiques à tous. Un écueil qui ne peut être évité que si les autorités locales acceptent de se défaire ponctuellement de leur autorité sur l’espace public et tout ce qui s’y déroule.

Itinéraire d’un jardinier

A travers le récit de ce projet, il est passionnant de suivre l’évolution d’Olivier Pinalie qui affine progressivement ses compétences en jardinage. Guidé d’abord par ses souvenirs d’enfance et l’esthétisme des plantes foisonnantes, il étoffe son savoir de ses observations saison après saison. Son investissement est si touchant que l’on comprend la volonté des nouveaux arrivants de se tourner vers lui pour se faire guider à travers cette jungle urbaine qu’on imagine sans limites. Les gravures qui ponctuent l’ouvrage contribuent à nous plonger dans le même état d’esprit de découverte que l’auteur. Seules manquent quelques photos de cet endroit que l’on ne peut aujourd’hui plus visiter.

Ce témoignage a beau être celui d’un lieu de partage et collectif, il en ressort surtout une histoire empreinte de convictions personnelles et de la volonté indéfectible qu’est celle d’Olivier Pinalie. Une manière de confirmer que sans au moins une personne-ressource pour fédérer le reste des participants autour d’une vision commune, il est difficile de parier sur l’émergence d’un projet. Une fois que les bases sont posées, les responsabilités peuvent ensuite être plus équitablement réparties, si les volontaires parviennent bien sûr à travailler en bonne intelligence et refusent de se livrer à une guerre d’égos parfois difficile à éviter.

Chronique d’un jardin solidaire – Une aventure humaine et botanique
Olivier Pinalie, éd. CNT-RP (2016)
12 euros

2 réflexions au sujet de « « Chronique d’un jardin solidaire », le témoignage éclairant d’Olivier Pinalie »

  1. merci de ce résumé très clair et qui permet de se faire une idée du contenu du livre. En accord avec l’analyse que tu fais de cet ouvrage, je confirme que dégager une personnalité ressource au démarrage d’un projet est fondamental tout comme dresser dès le démarrage aussi les potentialités des autres participants qui prendront petit à petit chacun leur place. Enfin contractualiser un minimum avec la collectivité pour sécuriser l’accès au site et ouvrir l’activité jardin sur d’autres entrées thématiques.

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