Pour impliquer les usagers, faites-les marcher !

Soucieuses de faire participer les citoyens aux projets d’aménagement qu’elles mettent en place, les collectivités ont de plus en plus recours à la concertation publique. Une méthode qui sollicite les usagers pour décider des grandes orientations du projet, mais qui peine encore à faire venir le plus grand nombre. Une solution se profile : la balade urbaine collective. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit point sur ce qu’est la démarche de concertation et les difficultés qu’elle rencontre.

La concertation, un moyen d’impliquer les usagers dans la fabrique des projets

Lorsqu’une collectivité souhaite mettre en place un projet d’aménagement, il existe plusieurs façons d’interagir avec les usagers de l’espace public concerné. La liste suivante n’est pas exhaustive mais elle permet de comprendre la spécificité de la concertation publique parmi les options les plus couramment utilisées par les décideurs :

  • L’information : On ne peut dans ce cas pas parler de participation, puisque la collectivité ne fait que communiquer des renseignements au public à travers différents médias (site internet, presse, affichages, réunions publiques, etc.). La décision est déjà prise, les modalités sont arrêtées, les citoyens ont simplement accès aux détails du projet avant sa réalisation.

Ex. : « Nous allons végétaliser votre rue, voici les aménagements prévus. »

  • La consultation : Les décideurs cherchent dans ce cas à connaître l’opinion du public. La consultation peut avoir lieu à n’importe quel stade d’avancement du projet et les avis recueillis ne sont pas nécessairement pris en compte pour décider des orientations de l’aménagement.

Ex. : « Nous allons végétaliser votre rue, qu’en pensez-vous ? »

  • La concertation : Dans l’optique de co-construire le projet avec les citoyens, la collectivité met en place un dispositif permettant de recueillir, confronter et prendre en compte les avis des participants pour décider des orientations à venir. C’est en amont du projet que peuvent être mis en place réunions et ateliers qui permettent de débattre des modalités de l’aménagement : il s’agit d’un diagnostic partagé.

Ex. : « Nous envisageons de végétaliser votre rue, aidez-nous en déterminer les modalités. »

La concertation est un outil très utile pour les décideurs, puisqu’elle permet de légitimer le projet auprès du public : inviter les usagers à prendre part aux décisions permet de concevoir le projet en adéquation avec leurs attentes et donc de limiter le risque de contestations une fois l’aménagement réalisé. C’est aussi une belle preuve de transparence pour des institutions souvent qualifées d’opaques. Lorsqu’elle naît d’un véritable souci de prise en compte des suggestions des citoyens et qu’elle se fait suffisamment en amont du projet pour pouvoir le repenser et l’adapter, la concertation fait ses preuves : de nombreuses collectivités ont adopté la démarche et la réinvente à l’aide de nouveaux outils.

Un objectif difficile à mettre en pratique

La concertation consiste le plus souvent à solliciter les usagers pour participer à des réunions publiques et ateliers organisés par la mairie : débats, groupes de travail, cartographie participative… Les collectivités disposent de nombreuses méthodes pour recueillir les idées des citoyens. Selon l’échéance et l’ampleur du projet, les rendez-vous peuvent s’étaler sur plusieurs mois, permettant ainsi à tous les citoyens de participer… en théorie !

La première difficulté est liée ameeting-business-936059_1920u manque de disponibilité d’une grande partie des usagers. Les concertations publiques mobilisent surtout des personnes retraitées et des citoyens déjà engagés dans la vie de quartier. Il est difficile d’impliquer les autres usagers et de les convaincre de se rendre en mairie plusieurs heures, souvent en pleine semaine. Des outils numériques ont été développés pour surmonter ce problème : la Mairie de Paris permet de voter pour les projets et faire ses propositions en ligne, dans le cadre du Budget Participatif annuel par exemple. Mais l’utilisation du numérique est elle aussi discriminante, puisqu’il existe également une disparité sociale d’accès au web et à tous ses outils.

Le second enjeu est finalement le même que dans les salles de classe : tout le monde ne lève pas la main pour donner son avis, et c’est souvent les mêmes personnes qui osent s’exprimer. Le cadre de la réunion publique ou même des ateliers met à l’épreuve les usagers, soucieux d’être intelligibles par les autres participants (y compris les décideurs du projet) et pertinents. Pour certains, le cadre même de la réunion peut être une mise à l’épreuve : comment prendre la parole quand on se sent illégitime ?

Autre problème, et non des moindres : le rôle du citoyen lors des réunions publiques consiste souvent à « répondre » plutôt qu’à « proposer » : alors que la concertation a pour objectif de construire un projet à partir des idées des habitants, ceux-ci se retrouvent surtout dans une situation où ils assistent à l’exposé du projet et y réagissent par des questions ou des contre-propositions. Un frein à la créativité qui est tout de même réduit lorsque sont organisés des groupes de travail en complément des réunions publiques plénières.

Discuter en marchant, la solution ?

La balade urbaine est une méthode déjà employée par plusieurs collectivités engagées dans une démarche de concertation. Elle consiste à se donner une heure de rendez-vous pour parcourir collectivement le lieu du futur projet et ses alentours, et permet à chacun d’évoquer les problèmes rencontrés sur l’espace public et les solutions à imaginer. Le tracé de l’itinéraire est le plus souvent décidé en avance par l’équipe chargée d’animer la balade, qui fournit aussi des questionnaires aux habitants. Ce qui implique un long travail de recueil et d’analyse de tout ce qui s’est dit pendant la marche : la balade urbaine n’est pas forcément la méthode de concertation la plus économe en termes de moyens humains.

ilink-associationMais elle est la plus intéressante pour confronter les points de vue ! D’une part, il n’existe plus le frein discriminant de la réunion où il faut prendre la parole devant des dizaines de personnes et discuter des grandes orientations du projet. Lors de la balade, les interventions sont plus courtes et concrètes : on parle de ce qu’il y a ici et maintenant, et de ce que l’on souhaite y voir à l’avenir. D’autre part, tous les habitants du quartier ne seront peut-être pas au rendez-vous, mais il est plus facile de mobiliser des usagers pour une balade d’une heure que pour une réunion formelle en mairie.

La balade urbaine est aussi le lieu où se croisent les savoirs : ceux des élus et des techniciens avec ceux des citoyens, mais aussi entre les différents usagers de l’espace public. Pour reprendre l’exemple de la rue végétalisée, un automobiliste n’aura pas les mêmes suggestions qu’un cycliste où un parent qui doit pouvoir circuler avec une poussette. En se rendant sur le lieu du projet, on peut confronter les points de vue en visualisant les problèmes et leurs résolutions.

Et dans les faits, ça donne quoi ? Exemple de la rue Kléber à Bordeaux

En 2011, dans le cadre de son vaste projet d’aménagement (Re)Centres, la Ville de Bordeaux a mis en place un dispositif de concertation publique pour repenser une rue souvent encombrée par les voitures : la rue Kléber. La collectivité a organisé de nombreux ateliers, mais également une balade urbaine qui a permis de faire ressortir les usages de la rue et les problématiques à traiter dans le cadre de son réaménagement :

« (…) les habitants racontent : ici un carrefour dangereux, là un ancien café qu’il faudrait pouvoir rouvrir, plus loin une maison en ruine que l’on devrait pouvoir habiter ou un trottoir trop haut pour les poussettes. » (extrait du Livret (Re)Centres)
Avant/après du projet de la rue Kléber
L’avant/après du projet de la rue Kléber
Cette balade urbaine a permis de mettre le doigt sur ce qui était important pour les habitants dans le cadre de ce réaménagement : réinventer une rue à la circulation plus douce et qui laisse de la place à une vie de quartier. C’est en tenant compte de ces désirs que les architectes-urbanistes ont conçu une rue-jardin : la chaussée au tracé sinueux limite la vitesse de circulation des voitures et libère des espaces en pied d’immeuble consacrés au jardinage et à la convivialité.
 
 Un projet inspirant pour les collectivités en recherche de modes de concertation innovants !
Crédits : association îlink, Ville de Bordeaux

Semer des céréales en ville, l’idée qui germe

Des boulangeries à tous les coins de rue, voilà un paysage bien connu des citadins français. Mais on a finalement peu l’occasion de s’interroger sur la provenance des farines utilisées à faire ce pain que nous achetons et qui reste un aliment essentiel de notre culture culinaire. Pas de bonne surprise de ce côté-là : la culture de céréales constitue un immense pan de notre production agro-alimentaire et à ce titre, l’utilisation massive de traitements phytosanitaires reste la norme. Sans compter que les grains destinés à être moulus pour fabriquer la farine sont stockés dans d’immenses silos eux-même tapissés de produits chimiques, pour éviter l’invasion de parasites.

Alors on connaît bien quelques irréductibles qui font le déplacement jusqu’à leur boulangerie Bio fétiche. Mais dans ce cas-là aussi les champs de blé paraissent bien lointains : peu de citadins viennent à s’intéresser aux conditions de production et de fabrication de la farine et du pain. C’est précisément ce qui a poussé quelques porteurs de projets innovants à créer des micro-cultures de céréales dans ville et à imaginer des programmes pédagogiques pour les citadins. On a bien fait venir les potagers sur les toits et les balcons, pourquoi ne pas faire une place aux céréales ?

Ce qui ressort de ces projets, c’est que semer des céréales en ville permet non seulement de dialoguer collectivement sur des sujets souvent éloignés des préoccupations des citadins, mais c’est aussi un moyen de s’engager dans une démarche participative longue et variée. Parce qu’il y a d’abord le semis des graines, puis la culture, la récolte, la fabrication de la farine, et enfin la confection et la cuisson du pain qui deviennent de grands moments de convivialité. Manger un pain 100% local s’avère être une belle source de motivation pour les habitants du quartier.

À La Villeneuve, le blé créateur de cohésion sociale

La Villeneuve est un quartier de Grenoble surtout connu pour avoir été le lieu de violences et d’émeutes importantes. Né d’une vaste opération urbaine des années 1970, ce grand ensemble a isolé des populations socialement vulnérables du reste de la ville et de ses opportunités. Mais malgré tout, les choses bougent ! La Régie de Quartier “La Villeneuve-Village Olympique”, une association destinée à améliorer le cadre de vie des habitants, compte parmi les plus actives en matière de développement durable. Financé par la collectivité, le projet Du Blé au Pain est lancé en 2013 : 400 m² de blé sont semés dans le parc central de la cité. Profitant de cette opportunité pédagogique, trois écoles du quartier ont participé au semis et à la réalisation d’une exposition portant sur l’agriculture et l’alimentation.

Confection et cuisson du pain de La Villeneuve

C’est bien l’objectif principal de la démarche Du Blé au Pain : interpeller les citadins sur les modes de production de notre alimentation en les invitant à observer le long processus de transformation de la graine en farine. Une réflexion qui se veut collective, puisque la récolte des céréales s’accompagne d’une fête des Moissons dans le courant de l’été où sont proposées des démonstrations de fauche traditionnelle et un atelier de cuisine “Pains du monde” autour d’un four à pain mobile. On comprend bien la volonté de la Régie de quartier de faire dialoguer des voisins qui ne se connaissent pas toujours autour de questions susceptibles de les rassembler. Et ça fonctionne : en 2016, la fête des moissons a encore gagné en notoriété.

Graine de Quatorzien : redécouvrir le pain quotidien

Dans le 14ème arrondissement de Paris, l’association Florimont est bien connue : comptant aujourd’hui 11 salariés, elle est à l’origine de nombreux projets dont une ludothèque de quartier, un programme d’assistance aux associations pour la création d’emplois, et apporte un soutien aux habitants dans des domaines divers, y compris l’utilisation des nouvelles technologies. Isabelle Armour, engagée dans l’association depuis près de dix ans, a constaté que les jeunes générations avec lesquelles elle travaillait semblaient accorder peu d’importance à leur alimentation, sa provenance, sa production et ses impacts sur leur santé. Elle a ainsi imaginé et créé le projet Graine de Quatorzien, qui propose de planter des micro-parcelles de céréales (1 m² chacune) partout dans l’arrondissement. Dès la première année en 2015, ce sont 40 sites qui ont bénéficié des graines fournies par Isabelle : jardins publics, privés, écoles, centres d’animation et hôpitaux se sont engagés à semer ces céréales.

Isabelle Armour

Pour Isabelle, il s’agit de sensibiliser les usagers à la diversité des semences et aux céréales méconnues. Se fournissant auprès de Graines de Noé, une association de sauvegarde des céréales paysannes et anciennes, les micro-cultures de Graine de Quatorzien sont très diverses : orge noir, amidonnier, blé rouge, épeautre, quinoa… C’est une surprenante diversité de formes et de couleurs lorsque les céréales arrivent à maturité, loin de l’image aseptisée des champs de blé ruraux. Au-delà de la qualité des cultures, la quantité est aussi au rendez-vous, puisqu’on récolte en moyenne dix fois ce qui a été semé. Un rendement qui n’est pas destiné à nourrir des familles au quotidien, mais qui permet d’animer des ateliers autour de la transformation de la graine en farine et de fabriquer des pains uniques. Isabelle intervient dans les écoles pour faire découvrir aux enfants le travail de meunier et les faire participer aux différentes étapes de fabrication. La Caisse des Écoles de l’arrondissement s’est également emparée de l’occasion pour proposer à la cantine des pains différents lors de la Semaine du Goût. Et parce que Graine de Quatorzien s’inscrit dans une réflexion globale, Isabelle a tenu à impliquer les boulangers du quartier qui partagent leur savoir-faire.

14556707_598134320369911_8726581024026171403_oSemer des céréales en ville permet de rassembler des usagers très divers autour de préoccupations communes et de faire découvrir des modes d’alimentation et de production agricoles alternatifs. Et c’est une démarche facile à mettre en place puisque selon Isabelle, le seul coût de ce projet est la rémunération d’un salarié. En effet, les graines peuvent être données ou troquées et la récolte est très facile sur des petites parcelles.

Je vous encourage à aller constater par vous-mêmes : demain se tiendra le Banquet des Pains au siège de Florimont ! L’occasion de découvrir le projet, de rencontrer du monde et surtout de participer aux nombreux ateliers proposés par l’association. Et vous pouvez même amener une boule de pain, il y aura un four à pain et des boulangers volontaires pour vous le cuire ! Miam.

affiche banquet des pains

Crédits : Séverine Cattiaux et Yuliya Ruzhechka, Place Grenet, Florimont

La métamorphose des villes sans pesticides

Au 1er janvier 2017, les collectivités ne pourront plus utiliser de produits phytosanitaires (aussi appelés pesticides) pour entretenir les espaces verts et la voirie : c’est l’heure du « zéro phyto ». Une vraie révolution des pratiques pour les nombreuses communes qui en ont un usage quotidien dans le cadre de l’entretien de l’espace public. Pourquoi a-t-on besoin d’une telle réglementation, et quelles sont les conséquences de cette mesure pour les habitants ?

Une nouvelle réglementation nécessaire et attendue

La France est le premier pays consommateur de pesticides en Europe et le troisième au niveau mondial, avec près de 80 000 tonnes utilisées par an. Actuellement, c’est plus d’un tiers de la surface du territoire français qui est soumis à un traitement phytosanitaire ! 90% de cette consommation est à incomber au secteur agricole : les produits permettant de lutter contre les nuisibles de l’agriculture (champignons, insectes, “mauvaises herbes”, etc.) se sont rendus indispensables dès leur arrivée sur le marché dans les années 1960. Combinés au bond technologique qu’a connu le secteur à cette période, les produits phytosanitaires ont permis de doubler la productivité des surfaces agricoles. On est alors entré dans un modèle productiviste, basé sur le rendement des parcelles cultivées. Et en matière de maximisation de la productivité des cultures, la France a su se distinguer puisqu’elle est aujourd’hui le premier producteur agricole européen.

Malheureusement, l’utilisation massive de ces produits a des conséquences écologiques graves. Pollution des eaux, de l’air, des sols, mortalité des pollinisateurs, perturbation des modes de reproduction des invertébrés… Et les impacts sur la santé humaine sont également connus : l’OMS considère que 20 000 à 200 000 décès annuels sont dus aux pesticides. Les aliments, l’eau et l’exposition directe sont autant de vecteurs par lesquels nous pouvons être contaminés.

Face à ce constat et aux mises en garde répétées des institutions de santé et de protection de l’environnement, les États ont décidé de prendre des mesures : en France, la réglementation s’est élaborée depuis 2008 avec la mise en place du Plan Ecophyto. Ayant pour objectifs de réduire la consommation nationale de produits phytosanitaires de moitié en dix ans, ce programme a permis de lancer un certain nombre d’expérimentations qui ont montré que, oui, il est possible de produire et de vivre sans pesticides. Et si une grande partie des mesures adoptées visent le secteur agricole, les villes sont elles aussi concernées. La loi Labbé du 6 février 2014 et la loi relative à la transition énergétique du 22 juillet 2015 ont changé la donne : désormais, les communes ont obligation d’adopter une gestion sans pesticides. Ce qui signifie que les équipes techniques en charge de l’entretien de l’espace public doivent repenser et réadapter leurs pratiques et leurs savoir-faire : fini l’épandage de produits, maintenant on défriche à la main et on laisse pousser la végétation spontanée pour des villes plus vertes, et surtout plus saines. Mais cette mesure change radicalement le paysage urbain, dont les massifs fournis et pavés enherbés perturbent les habitants et leur représentation de ce qu’est une ville propre et entretenue.

Nouveaux paysages urbains et acceptabilité sociale

Comme le mentionne un récent article paru dans la revue Sciences & Avenir, l’interdiction d’utiliser des pesticides pour les communes relève d’une révolution technique, mais aussi culturelle. Partout on entend les plaintes des citadins concernant ces rues devenues « sales », « mal entretenues » ou « négligées ». En effet, il peut être difficile pour les habitants de voir leurs quartiers et leurs villes changer d’aspect en quelques mois. Les traditions classiques de jardinage et d’aménagement paysagers sont ancrées dans les perceptions esthétiques des habitants, qui se trouvent souvent désemparés face à ces nouveaux paysages urbains.

Prenons l’exemple d’une rue de centre-ville (ici à Châtenay-Malabry, avant la mise en place du « zéro phyto ») : 

Entre le trottoir et la chaussée, il est commun d’avoir ce type de massifs de fleurs. Ici, ils sont assez homogènes et sans « mauvaises herbes ». Les pieds d’arbres sont eux aussi vides de petites pousses, et on ne voit pas un brin d’herbe sur la chaussée non plus. Les espaces végétaux sont très bien délimités : ils sont créés et aménagés par la main de l’homme uniquement.

Dans les villes sans pesticides en revanche,  la végétation spontanée reprend ses droits et l’espace public s’en trouve radicalement modifié :

On voit bien que les massifs et les pieds d’arbres sont plus divers, accueillant fleurs, arbustes et adventices. Les pavés et les grilles d’évacuation des eaux de pluie sont eux aussi enherbés. La végétation n’est pas uniquement présente là où on l’a plantée et choisie : elle s’installe un peu partout, rendant plus floue la limite entre espaces verts et espaces dédiés à la circulation. Au-delà de l’aspect esthétique, c’est bien un changement culturel qui s’opère pour les habitants, qui acceptent parfois difficilement l’intrusion du végétal dans leurs lieux de vie et de passage.

Sensibiliser par l’action : quelques pistes

Lorsqu’elles mettent en place leur plan « zéro phyto », les collectivités veillent à ce que les habitants en soient informés. Affiches, articles dans la presse locale, communiqués… Mais pour réellement sensibiliser les citadins à la nécessité d’interdire les pesticides, je crois qu’il est nécessaire de leur montrer que cette réglementation peut avoir des impacts positifs sur leur mode de vie. Et pour cela, quoi de mieux que de leur offrir des moyens d’agir et de participer ?

Une étude publiée en février dernier par les laboratoires Profilomic réalisée à partir de l’analyse des ruches de l’Opéra Garnier a montré que le miel produit dans des villes sans pesticides est de meilleure composition que le miel de consommation classique. Aucune trace d’hydrocarbures ou de métaux lourds, et seuls 2 polluants en très faibles quantités sont retrouvés dans le miel parisien, contre 35 polluants différents (en moyenne 5 par pot) et de nombreuses substances antibiotiques du côté des miels de grande consommation, selon une enquête de 60 millions de consommateurs. On entend beaucoup parler du développement des ruches en ville, installées par des entreprises souhaitant verdir leur image, des écoles, des collectivités ou même des habitants. Et si cette tendance était justement l’occasion de sensibiliser les citadins aux bénéfices de la ville sans pesticides ? Proposer la vente directe de miel de ville à un coût raisonnable ou accompagner l’installation de ruches d’entreprise par un programme de sensibilisation des salariés sont autant de moyens d’agir pour l’avancée des mentalités. Des ruchers pédagogiques existent déjà pour éveiller les enfants au rôle écologique essentiel des abeilles, mais compléter ce travail par une démarche s’adressant aux parents souvent soucieux de la qualité de leur alimentation quotidienne est une opportunité à saisir.

Encourager les citadins à se rassembler au sein de programmes de sciences participatives est un autre moyen de les sensibiliser aux bénéfices de la végétalisation spontanée dans les villes. Sauvages de ma Rue est à la fois un projet pédagogique et de recherche élaboré par Tela Botanica et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Il est spécifiquement adapté au contexte urbain et s’adresse aux citadins qui souhaitent mieux connaître les espèces végétales présentes dans leurs quartiers. Le principe est simple : grâce à une application smartphone ou un guide papier, chacun identifie les plantes présentes autour de son lieu de vie et alimente les données cartographiées disponibles en ligne. Associant institutions scientifiques, grand public, scolaires et collectivités, ce programme offre de vraies possibilités d’échanges entre les décideurs et les habitants. Et comme il s’agit d’un outil ludique, il permet de sensibiliser plus facilement les participants aux enjeux du « zéro phyto ». Car sans pesticides, on trouve toujours plus de plantes à observer !

Si le « zéro phyto » obligatoire pour toutes les communes présente des difficultés techniques et d’acceptabilité sociale, il faut aussi laisser le temps se faire et les mentalités évoluer. Surtout qu’au 1er janvier 2019, ce sera au tour des particuliers : interdiction d’utiliser ou de détenir des produits phytosanitaires ! Pour les jardiniers amateurs qui ont l’habitude de passer un peu de Roundup, il sera alors indispensable d’apprendre les bases du jardinage écologique et de s’habituer à la métamorphose de leurs jardins.